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importe de comprendre que, là où vous dites « contre nature », le mot « contre coutume » suffirait. Persuadés de cela nous aborderons la question avec moins de prévention, je l’espère.

— Votre citation fait arme à deux tranchants ; je la peux rétorquer contre vous : importées d’Asie ou d’Afrique en Europe, et d’Allemagne, d’Angleterre ou d’Italie en France, les coutumes de pédérastie ont pu, de-ci de-là, nous contaminer quelque temps. Dieu merci ! le naturel et bon vieux fonds gaulois a toujours reparu, galant comme il convient, gaillard même au besoin, robuste[1].

Corydon s’était levé et marcha quelques instants par la chambre sans rien dire. Il reprit enfin :

— Cher ami, je vous en supplie, ne faites pas intervenir ici une question de nationalisme. En Afrique où j’ai voyagé, les Européens se sont persuadés que ce vice est admis ; l’occasion, la beauté de la race aidant, ils y donnent plus libre cours que dans leur pays d’origine ; cela fait que, de leur côté, les musulmans sont convaincus que ces goûts leur viennent d’Europe…

— Laissez-moi croire cependant que l’exemple et l’entraînement jouent leur rôle ; et les lois de l’imitation…

— Ne vous êtes-vous pas avisé qu’elles agissent aussi bien dans l’autre sens ? Souvenez-vous du mot profond de La Rochefoucauld : Il y a des gens qui n’auraient jamais aimé s’ils

  1. « S’il est un vice ou une maladie qui répugne à la mentalité française, à la moralité française, à la santé française, c’est bien, pour appeler les choses par leur nom, la pédérastie. »

    Ernest Charles.
    Grande Revue (25 juillet 1910, p. 399).