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je dis que, lorsqu’il imite, c’est qu’il avait envie d’imiter ; que l’exemple flattait son goût secret.

— Décidément vous tenez à ce que ce goût soit inné.

— Tout simplement je le constate… Et me permettrez-vous de remarquer que ce goût, de plus, ne se peut guère hériter, pour cette spécieuse raison que l’acte même qui le transmettrait est nécessairement un acte d’hétérosexualité…

— La boutade est ingénieuse.

— Avouez qu’il faut que cet appétit soit bien fort, bien irrépressible, bien enfoncé dans la chair même, disons le mot : bien naturel, pour résister aux avanies et ne point consentir enfin à disparaître. Il ressemble, ne trouvez-vous pas, à un jaillissement continu qu’ici à grand-peine on aveugle, qui resurgit un peu plus loin, dont on ne peut sécher la source. Sévissez, vous aurez beau faire ! Comprimez ! Opprimez ! Vous ne supprimerez pas.

— J’accorde que, ces dernières années, les cas signalés par la presse sont devenus d’une déplorable fréquence.

— C’est-à-dire que, à la suite de quelques procès fameux, les journaux prennent le parti et l’habitude d’en parler. L’homosexualité paraît plus ou moins fréquente suivant qu’elle affleure plus ou moins au grand jour. La vérité c’est que cet instinct, que vous appelez contre nature, a toujours existé, à peu près aussi fort, dans tous les temps et toujours et partout — comme tous les appétits naturels.

— Redites-moi la phrase de Pascal : tous les goûts sont dans la nature…

Sans doute que la nature n’est pas si uni-