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forme. C’est la coutume qui fait donc cela, car elle contraint la nature ; et quelquefois la nature la surmonte et retient l’homme dans son instinct…

— Je commence à mieux vous comprendre. Mais, à ce compte-là, il vous faudra tenir pour naturels tout aussi bien le sadisme, l’instinct de cruauté, de meurtre, les instincts même les plus rares, les pires… et vous n’en serez guère plus avancé.

— Je crois, en effet, qu’il n’est aucun instinct qui ne se puisse autoriser de quelque coutume animale. Les félins ne goûtent point l’amour sans mêler la morsure aux caresses. Mais ici nous sortons du sujet ; d’autant plus que, je crois, et pour des raisons assez faciles à démêler, le sadisme accompagne plus volontiers l’hétérosexualité que l’uranisme… Disons pour simplifier, si vous le voulez bien, qu’il est des instincts sociaux et des instincts antisociaux. Si la pédérastie est un instinct antisocial, c’est ce que j’examine dans la seconde et la troisième partie de mon livre ; permettez-moi de différer la question. Il me faut tout d’abord, non point seulement constater et reconnaître l’homosexualité pour naturelle, mais bien encore tenter de l’expliquer et de comprendre sa raison d’être. Ces quelques remarques préliminaires n’étaient peut-être pas de trop, car, autant que je vous avertisse : ce que je m’apprête à formuler n’est rien de moins qu’une théorie nouvelle de l’amour.

— Peste ! Est-ce que vraiment l’ancienne ne vous suffisait pas ?

— Apparemment non, puisqu’elle tend à faire de la pédérastie une entreprise « contre