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l’homme au rang des pariades animales, souci que j’appellerai zoomorphique, digne pendant de l’anthropomorphisme qui savait retrouver les goûts et les passions de l’homme partout.

— Si vous sortiez votre nouvelle théorie.

— Je vous la dirai tout de go, sous sa forme monstrueuse et paradoxale d’abord. Nous y ferons par la suite quelques retouches. La voici donc : c’est que l’amour est une invention tout humaine ; c’est que l’amour, dans la nature, n’existe pas.

— Vous voulez dire, avec M. de Gourmont, que ce que nous appelons amour n’est de part en part qu’instinct sexuel plus ou moins bien dissimulé. Cela peut bien n’être pas juste, mais à coup sûr ce n’est pas neuf !

— Non, non ! Je dis que ces antithéistes qui prétendent remplacer Dieu par cette idole énorme qu’ils appellent « l’instinct universel de reproduction » sont d’étranges dupes. C’est l’alphysique de l’amour que nous propose M. de Gourmont. Je prétends, moi, que ce fameux « instinct sexuel » qui précipite irrésistiblement un sexe vers l’autre, est de leur construction, que cet instinct n’existe pas.

— N’espérez pas m’intimider par votre ton péremptoire. Que peut signifier cette négation de l’instinct sexuel ? à l’heure où la théorie même de l’instinct, sous ses formes les plus générales, est remise en cause et en question, par Lœb, Bohn, etc.

— Je ne présumais pas que vous connussiez les minutieux travaux de ces messieurs.

— J’avoue que je ne les ai point tous lus.

— Aussi bien n’était-ce pas à un savant que je m’adressais, mais à vous, chez qui je flaire