Page:Gide - Corydon, 1925.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44

nature »… Nous vivons, enfoncés jusqu’aux yeux et jusqu’à la cervelle dans une théorie de l’amour très vieille, très commune et que nous ne songeons plus à discuter ; cette théorie a pénétré fort avant dans l’histoire naturelle, faussé maint raisonnement, perverti mainte observation ; je crains d’avoir du mal à vous en dégager durant quelques instants de causerie…

— Essayez toujours.

— Aussi bien tout ce que je m’apprête à vous dire en dépend.

II

Il fit quelques pas jusqu’à sa bibliothèque contre laquelle il s’adossa.

— On a beaucoup écrit sur l’amour ; mais les théoriciens de l’amour sont rares. En vérité, depuis Platon et les convives de son Banquet, je n’en reconnais point que Schopenhauer.

M. de Gourmont a récemment écrit sur la matière…

— Je m’étonne qu’un esprit aussi délié n’ait pas su dénoncer ce refuge dernier du mysticisme ; que son scepticisme acharné n’ait pas su s’offusquer de ce qu’implique de finalité métaphysique cette théorie qui fait de l’amour le rêve de toute la nature, du désir de la pariade le ressort secret de la vie. Je m’étonne enfin que cet esprit parfois ingénieux n’ait pas su atteindre aussitôt aux conclusions que je m’apprête à vous dire. Son livre sur la Physique de l’amour est inspiré par l’unique souci de ravaler l’amour de