Page:Gide - Corydon, 1925.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53

sites. Voyez, me dit-il en ouvrant une énorme zoologie : ceci vous représente la hideuse femelle du chondracanthus gibbosus, avec son mâle nain fixé sur elle…

Mais je ne retiendrai de ces études que ce qui peut instruire ma théorie. Dans ce livre où je l’expose, je montre que l’élément mâle, après avoir commencé par être complémentaire tout entier, garde en lui, et tend à garder de plus en plus, de la matière disponible, inemployée pour le profit de l’espèce, modifiable selon l’individu — de la matière à variations.

— Je ne vous suis plus ; vous allez trop vite.

— Lester Ward va vous aider : Dans les ordres inférieurs, remarque-t-il, un excès du nombre des mâles sur celui des femelles est le fait normal. — Oui, mais à mon tour je remarque ceci : que dans ces espèces inférieures où prédomine le nombre des mâles, le mâle n’a d’autre fin que cette procréation ; qu’il y vient expirer sans plus. Le luxe était alors dans le nombre d’individus, puisque, pour féconder une femelle, un mâle unique suffisait ; ici déjà nous trouvions déchet, surabondance et, sous forme d’individus, matière inemployée pour le profit de l’espèce ; luxe, gratuité. À mesure que, dans l’échelle animale, le nombre des individus mâles, proportionnellement à celui des femelles, se réduit, cette gratuité, ce luxe se concentrent pour ainsi dire : l’individu les réalise en soi. Le postulat de Ward reste le même : Il importe qu’aucune femelle ne risque de demeurer infécondée. De là surproduction constante[1] de l’élément mâle —

  1. Ou presque constante : nous verrons, à la fin de ce dialogue, certaines espèces qui, en paraissant échapper à cette loi, confirment précisément ma théorie.