Page:Gide - Corydon, 1925.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54

surproduction des mâles, et surproduction de la matière séminale. Mais tandis que la femelle, fût-ce avec un seul œuf, est accaparée par la race aussitôt la fécondation accomplie, le mâle, lui, reste disponible, riche d’une force dont bientôt il va jouer.

— Sans doute aura-t-il besoin de cette force pour protéger la race et pour subvenir aux besoins de la femelle, tandis que le souci de la race immobilise celle-ci ?

— Permettez que j’appelle encore Ward à la rescousse : Rien n’est plus faux, écrit-il, que cette opinion souvent répétée, sous l’inspiration de la théorie androcentrique, que les mâles dits « supérieurs » consacrent cette force nouvellement acquise à protéger et à nourrir la femelle et les petits. Suivent des exemples. Les voulez-vous ?

— Vous me prêterez le livre. Avançons.

— Pas trop vite. Le terrain n’est pas encore foulé.

Il remit en place les deux volumes de Darwin, vint se rasseoir, reprit plus calme :

Il importe qu’aucune femelle ne reste infécondée ; oui ! mais un seul mâle suffit à féconder une femelle ; que dis-je ! un seul jet de liqueur, un seul spermatozoïde y suffit ! Or partout l’élément mâle domine. Or le nombre des mâles domine, tant que le mâle s’épuise dans la procréation ; or, tandis que le nombre proportionnel des mâles se restreint, chaque mâle devient capable de féconder un plus grand nombre de femelles. Quel est ce mystère admirable ? Avant d’en étudier la cause, c’en sont les conséquences que je voudrais vous montrer.