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gique ; le sexe masculin, celui de la dépense luxueuse, mais improductive…

— N’est-ce pas ici que la sélection intervient ? Darwin ne nous apprend-il pas que tout comme le chant des rossignols, ces belles couleurs, ces formes surprenantes ne sont là que pour attirer la femelle ?

— Ici je rouvre Ward. Excusez tant de citations, mais la théorie où je m’aventure est hardie et je m’assure de quelques points d’appui :

La femelle est la gardienne des qualités héréditaires. La variation peut être excessive… elle a besoin d’être réglementée. La femme est le balancier de la nature…

Et ailleurs : Tandis que la voix de la Nature, parlant au mâle sous la forme d’un vif intérêt appétitif, lui dit : féconde ! elle donne à la femelle un ordre différent et lui dit : choisis !

À vrai dire je me méfie de cette « voix de la nature ». Chasser Dieu de la création et le remplacer par des voix, la belle avance ! Cette éloquente Nature m’a tout l’air d’être celle qui avait « horreur du vide ». Cette sorte de mysticisme scientifique me paraît bien autrement néfaste à la science que la religion… N’importe ! Prenons le mot « voix » dans son sens le plus métaphorique, encore nierai-je que cette voix dise au mâle : féconde, qu’elle dise à la femelle : choisis. Elle dit, à l’un comme à l’autre sexe : « jouis », simplement ; c’est la voix de la glande qui demande qu’on l’exonère, des organes qui réclament emploi — organes qui sont bien conformés selon ce que leur précise fonction exige, mais que le seul besoin de volupté guidera. Rien de plus.