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demeure quelque peu ambiguë ? Et la Nature ne sera-t-elle pas comparable à un tireur qui, connaissant sa maladresse, par grande crainte de manquer le but, fait suppléer à la justesse de son tir l’abondance ?

— Je ne vous croyais pas finaliste.

— En effet, le : pourquoi ? m’occupe moins que le : comment ? Mais il est souvent assez malaisé de démêler les deux questions. La nature forme un réseau sans commencement ni fin, une suite ininterrompue de chaînons qu’on ne sait dans quel sens saisir ; et rien ne reste plus problématique que de savoir si chacune des mailles trouve sa raison d’être dans celle qui précède ou dans celle qui suit (si tant est qu’elle ait une « raison d’être ») et si le livre entier de la Nature, pour être bien compris, ne doit pas être lu à l’envers — c’est-à-dire si la dernière page n’est pas l’explication de la première, le dernier chaînon le secret motif du début… Le finaliste est celui qui lit le livre à l’envers.

— Par pitié pas de métaphysique !

    qui puisse accomplir sa destinée » (!) reconnaît M. de Gourmont (Physique de l’amour, p. 178) après avoir raconté d’après Blanchard « l’histoire de ce naturaliste qui, ayant capturé et enfermé dans sa poche une femelle de bombyx, rentra chez lui escorté d’un nuage formé de plus de deux cents mâles ». — « La présence d’une femelle de grand paon de nuit, encagée, peut attirer une centaine de mâles », dit-il encore. (Ibid.), V. Darwin, Descendance de l’homme (De la proportion des sexes). « Les mâles, dans certaines espèces, peuvent devenir communs au point que presque tous demeurent célibataires. Chez le joli petit hanneton, d’un bleu argenté, qui aime à se tenir sur les spirées du bord des eaux, et qu’on récolte pour le monter en bijou (hoplia cerulea) on ne rencontre qu’une femelle pour 800 mâles ; chez le hanneton de mai (Rhizotrogus œstivus) il n’y a aussi qu’une femelle pour 300 mâles. »

    Edmond Perrier,
    Le Temps, 1er août 1912.