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la pureté cristalline de votre voix, la moelleuse élégance de vos gestes et ces gracieuses lignes qui ont inspiré le caressant pinceau de Bouguereau. Que voulez-vous de plus joli ? Pourquoi ne lisiez-vous pas ces lignes ?

— Parce que je sais que vous n’aimez pas Bouguereau.

— C’est trop d’égards !

— Cessez de persifler et donnez-moi votre pensée là-dessus.

— J’avoue qu’en effet tant d’artifice, appelé si constamment au secours de la nature, m’inquiète. Je me souviens du passage de Montaigne : Ce n’est pas tant pudeur, qu’art et prudence, qui rend nos dames si circonspectes à nous refuser l’entrée de leurs cabinets avant qu’elles soient peintes et parées pour la montre publique. Et j’en viens à douter si, dans la Tryphème rêvée par Pierre Louÿs, une coutumière et franche exhibition des avantages du beau sexe, l’habitude de se montrer tout nu par la campagne et par les rues, n’amènerait pas un résultat contraire à celui qu’il semble prédire ; si les désirs de l’homme pour l’autre sexe n’en seraient pas beaucoup refroidis. Reste à savoir, disait Mademoiselle Quinault, si tous les objets qui excitent en nous tant de belles et vilaines choses parce qu’on en dérobe la vue, ne nous auraient pas laissés froids et tranquilles par une contemplation perpétuelle ; car il y a des exemples de ces choses-là. — Enfin il est des peuplades et précisément des plus belles, où Tryphème est réalisée (l’était du moins il y a quelque cinquante ans, avant le travail des missionnaires), Tahiti, par exemple, lorsque Darwin y abordait, en 1835. Il décrit en quelques pages émues la