Page:Gide - De l’influence en littérature.djvu/27

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quelque dix ans, un volume de nouvelles que l’auteur avait intitulé : Contes sans qui ni que. L’auteur s’était fait une manière d’originalité, un style spécial, une personnalité, à n’employer jamais un pronom conjonctif. (Comme si les qui et les que ne continuaient pas quand même d’exister !) — Combien d’auteurs, d’artistes, n’ont d’autre personnalité que celle-là, qui, le jour où ils consentiraient à employer les qui et les que, comme tout le monde, se confondraient tout simplement dans la masse banale et infiniment nuancée de l’humanité.


Et pourtant, il faut bien avouer que la personnalité des plus grands hommes est faite de leurs incompréhensions. L’accentuation même de leurs traits exige une limitation violente. Aucun grand homme ne nous laisse de lui une image vague, mais précise et très définie. On peut même dire que ses incompréhensions font la définition du grand homme.


Que Voltaire n’ait pas compris la Bible ; qu’il éclate de rire devant Pindare ; est-ce que cela ne dessine pas la figure de Voltaire, comme le peintre qui, traçant le contour du visage, dirait à ce visage : Tu n’iras pas plus loin ?

Que Gœthe, le plus intelligent des êtres