Page:Gide - De l’influence en littérature.djvu/40

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« Après ce livre, disait madame de Sevigné en parlant des Maximes de La Rochefoucauld, — il n’y a plus qu’à se tuer ou se faire chrétien. » (Elle disait cela croyant sûrement qu’il ne se trouverait personne qui ne préférât une conversion à la mort). — Ceux que la littérature a tués, je pense qu’ils portaient déjà la mort en eux ; ceux qui se sont fait chrétiens étaient admirablement prêts pour l’être ; l’influence, disais-je, ne crée rien, elle éveille.


Mais je me garderai d’ailleurs, de chercher à diminuer la responsabilité des grands hommes ; pour leur plus grande gloire, il faut la croire même la plus lourde, la plus effrayante possible. — Je ne sache pas qu’elle ait fait reculer aucun d’eux. Au contraire, ils cherchent de l’assumer toujours plus grande. Ils font, tout autour d’eux, que l’on s’en doute ou non, une consommation de vie formidable.


Mais ce n’est pas toujours un besoin de domination qui les mène : — Chez l’artiste, souvent, la soumission d’autrui qu’il obtient, a des causes très différentes. Un mot pourrait je crois les résumer : il ne suffit pas à lui-même. La conscience qu’il a de l’importance de l’idée qu’il porte, le tourmente. Il en est responsable, il le sent. Cette responsabilité lui paraît la plus importante : l’autre ne passera qu’après. — Que peut-il ? Seul ! — Il est débordé. Il n’a pas