Page:Gide - De l’influence en littérature.djvu/41

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assez de ses cinq sens pour palper le monde ; de ses vingt-quatre heures par jour, pour vivre, penser, s’exprimer. Il n’y suffit pas, il le sent. Il a besoin d’adjoints, de substituts, de secrétaires. — « Un grand homme, dit Nietzsche, n’a pas seulement son esprit, mais aussi celui de tous ses amis. » — Chaque ami lui prêtera ses sens ; bien plus : vivra pour lui. — Lui se fait centre (oh ! malgré lui) il regarde et profite de tout. Il influence : d’autres vivront et joueront pour lui ses idées ; risqueront le danger de les expérimenter à sa place.


Il est difficile parfois de faire l’apologie des grands hommes. Je ne veux donc point dire ici que j’approuve cela ; je dis seulement que sans cela le grand homme n’est pas possible. — Peut-être préfère-t-on qu’alors il n’y ait pas de « grands hommes ». — moi pas : — c’est affaire de goûts. — S’ils voulaient œuvrer sans influencer, ils seraient d’abord mal renseignés, n’ayant pu voir opérer leurs idées ; puis ils ne seraient pas intéressants ; car cela seul qui nous influence nous importe. — Voilà pourquoi j’ai eu soin de faire d’abord l’apologie des influencés, — pour pouvoir à présent oser dire qu’ils sont indispensables aux grands hommes.