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ISABELLE

dame Floche se tenait enfoncée dans un grand fauteuil en tapisserie ; une lampe posée sur un guéridon près du fauteuil les éclairait discrètement toutes deux. Isabelle me tournait le dos ; elle s’inclinait en avant, presque couchée sur les genoux de sa vieille tante, de sorte que d’abord je ne vis pas son visage ; bientôt elle releva la tête. Je m’attendais à la trouver davantage vieillie ; pourtant je reconnaissais à peine en elle la jeune fille du médaillon ; non moins belle sans doute, elle était d’une beauté très différente, plus terrestre et comme humanisée ; l’angélique candeur de la miniature le cédait à une langueur passionnée, et je ne sais quel dégoût froissait le coin de ses lèvres que le peintre avait dessinées entrouvertes. Un grand manteau de voyage, une sorte de waterproof, d’une étoffe assez commune semblait-il, la recouvrait, mais relevé de côté, laissait voir une jupe noire de taffetas luisant sur lequel sa main dégantée, qu’elle laissait pendre et qui tenait un mouchoir chiffonné,