Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/100

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Je ne discute pas ce sentiment ; je le constate. Je trouvais mes traits assez beaux… Non, la peur venait de ce qu’il me semblait qu’on voyait à nu ma pensée et de ce que, soudain, elle me paraissait redoutable.

Par contre, je laissais pousser mes cheveux.

Voilà tout ce que mon être neuf, encore désœuvré, trouvait à faire. Je pensais qu’il naîtrait de lui des actes étonnants pour moi-même ; mais plus tard ; plus tard, me disais-je, — quand l’être serait plus formé. Forcé de vivre en attendant, je conservais, comme Descartes, une façon provisoire d’agir. Marceline ainsi put s’y tromper. Le changement de mon regard, il est vrai, et, surtout le jour où j’apparus sans barbe, l’expression nouvelle de mes traits, l’auraient inquiétée peut-être, mais elle m’aimait trop déjà pour me bien voir ; puis je la rassurais de mon mieux. Il importait qu’elle ne troublât pas ma renaissance ; pour la soustraire à ses regards, je devais donc dissimuler.

Aussi bien celui que Marceline aimait,