Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/107

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passer ; que l’effort qu’elle fait pour ressusciter son bonheur, l’use ; que rien n’empêche le bonheur comme le souvenir du bonheur. Hélas ! je me souviens de cette nuit…

Notre hôtel était hors la ville, entouré de jardins, de vergers ; un très large balcon prolongeait notre chambre ; des branches le frôlaient. L’aube entra librement par notre croisée grande ouverte. Je me soulevai doucement, et tendrement je me penchai sur Marceline. Elle dormait ; elle semblait sourire en dormant. Il me sembla, d’être plus fort, que je la sentais plus délicate, et que sa grâce était une fragilité. De tumultueuses pensées vinrent tourbillonner en ma tête. Je songeai qu’elle ne mentait pas, disant que j’étais tout pour elle ; puis aussitôt : « Qu’est-ce que je fais donc pour sa joie ? Presque tout le jour et chaque jour je l’abandonne ; elle attend tout de moi, et moi je la délaisse !… ah ! pauvre, pauvre Marceline !… » Des larmes emplirent mes yeux. En vain cherchai-je en ma débilité passée comme une