Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais au moins, sourdement irrité, surveillai-je à présent les bêtes, sans pourtant trop le laisser voir.

J’avais quatre chevaux et dix vaches ; c’était assez pour bien me tourmenter. De mes quatre chevaux, il en était un qu’on nommait encore « le poulain », bien qu’il eût trois ans passés ; on s’occupait alors de le dresser ; je commençais à m’y intéresser lorsqu’un beau jour on vint me déclarer qu’il était parfaitement intraitable, qu’on n’en pourrait jamais rien faire et que le mieux était de m’en débarrasser. Comme si j’en eusse voulu douter, on l’avait fait briser le devant d’une petite charrette et s’y ensanglanter les jarrets.

J’eus, ce jour-là, peine à garder mon calme, et ce qui me retint, ce fut la gêne de Bocage. Après tout, il y avait chez lui plus de faiblesse que de mauvais vouloir, pensai-je, la faute est aux serviteurs ; mais ils ne se sentent pas dirigés.

Je sortis dans la cour, voir le poulain. Dès