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Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/132

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qu’il m’entendit approcher, un serviteur qui le frappait le caressa ; je fis comme si je n’avais rien vu. Je ne connaissais pas grand-chose aux chevaux, mais ce poulain me semblait beau ; c’était un demi-sang bai clair, aux formes remarquablement élancées ; il avait l’œil très vif, la crinière ainsi que la queue presque blondes. Je m’assurai qu’il n’était pas blessé, exigeai qu’on pansât ses écorchures et repartis sans ajouter un mot.

Le soir, dès que je revis Charles, je tâchai de savoir ce que lui pensait du poulain.

– Je le crois très doux, me dit-il ; mais ils ne savent pas s’y prendre ; ils vous le rendront enragé.

– Comment t’y prendrais-tu, toi ?

– Monsieur veut-il me le confier pour huit jours ? J’en réponds.

– Et que lui feras-tu ?

– Vous verrez…

Le lendemain, Charles emmena le poulain dans un recoin de prairie qu’ombrageait un noyer superbe et que contournait la rivière ;