Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/161

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– Il ne me paraît pas que vous l’ayez beaucoup vous-même.

– Je l’ai si peu qu’ici, voyez, rien n’est à moi ; pas même ou surtout pas le lit où je me couche. J’ai l’horreur du repos ; la possession y encourage et dans la sécurité l’on s’endort ; j’aime assez vivre pour prétendre vivre éveillé, et maintiens donc, au sein de mes richesses mêmes, ce sentiment d’état précaire par quoi j’exaspère, ou du moins j’exalte ma vie. Je ne peux pas dire que j’aime le danger, mais j’aime la vie hasardeuse et veux qu’elle exige de moi, à chaque instant, tout mon courage, tout mon bonheur et toute ma santé…

– Alors que me reprochez-vous ? interrompis-je.

– Oh ! que vous me comprenez mal, cher Michel ; pour un coup que je fais la sottise d’essayer de professer ma foi !… Si je me soucie peu, Michel, de l’approbation ou de la désapprobation des hommes, ce n’est pas pour venir approuver ou désapprouver à