Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/175

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Cependant le soir vint que j’avais promis à Ménalque ; et malgré mon ennui d’abandonner toute une nuit d’hiver Marceline, je lui fis accepter de mon mieux la solennité du rendez-vous, la gravité de ma promesse. Marceline allait un peu mieux ce soir-là, et pourtant j’étais inquiet ; une garde me remplaça près d’elle. Mais, sitôt dans la rue, mon inquiétude prit une force nouvelle ; je la repoussai, luttai contre elle, m’irritant contre moi de ne pas mieux m’en libérer. Je parvins ainsi peu à peu à un état de surtension, d’exaltation singulière, très différente et très proche à la fois de l’inquiétude douloureuse qui l’avait fait naître, mais plus proche encore du bonheur. Il était tard ; je marchais à grands pas ; la neige commença de tomber abondante ; j’étais heureux de respirer enfin un air plus vif, de lutter contre le froid, heureux contre le vent, la nuit, la neige ; je savourais mon énergie.

Ménalque, qui m’entendit venir, parut sur le palier de l’escalier. Il m’attendait sans pa-