Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/54

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Le soir tombait : j’organisai ma stratégie. Pour un temps, seule ma guérison devait devenir mon étude ; mon devoir, c’était ma santé ; il fallait juger bon, nommer Bien, tout ce qui m’était salutaire, oublier, repousser tout ce qui ne guérissait pas. Avant le repas du soir, pour la respiration, l’exercice, la nourriture, j’avais pris des résolutions.

Nous prenions nos repas dans une sorte de petit kiosque que la terrasse enveloppait de toutes parts. Seuls, tranquilles, loin de tout, l’intimité de nos repas était charmante. D’un hôtel voisin, un vieux nègre nous apportait une passable nourriture. Marceline surveillait les menus, commandait un plat, en repoussait tel autre… N’ayant pas très grand’faim d’ordinaire, je ne souffrais pas trop des plats manqués, ni des menus insuffisants. Marceline, habituée elle-même à ne pas beaucoup se nourrir, ne savait pas, ne se rendait pas compte que je ne mangeais pas assez. Manger beaucoup était, de toutes mes résolutions, la première. Je prétendais la mettre