Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/68

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baumaient ; à moins que ne vînt de partout cette sorte d’odeur légère inconnue qui me semblait entrer en moi par plusieurs sens et m’exaltait. Je respirais plus aisément d’ailleurs ; ma marche en était plus légère : pourtant au premier banc je m’assis, mais plus grisé, plus étourdi que las. Je regardai. L’ombre était mobile et légère ; elle ne tombait pas sur le sol, et semblait à peine y poser. Ô ! lumière ! – J’écoutai. Qu’entendis-je ? Rien ; tout ; je m’amusais de chaque bruit. – Je me souviens d’un arbuste, dont l’écorce, de loin, me parut de consistance si bizarre que je dus me lever pour aller la palper. Je la touchai comme on caresse ; j’y trouvais un ravissement. Je me souviens… Était-ce enfin ce matin-là que j’allais naître ?

J’avais oublié que j’étais seul, n’attendais rien, oubliais l’heure. Il me semblait avoir jusqu’à ce jour si peu senti pour tant penser, que je m’étonnais à la fin de ceci : ma sensation devenait aussi forte qu’une pensée.