Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/88

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ont l’acide douceur des oranges, et les rives de la Cyané qui, dans les papyrus, coule encore aussi bleue que le jour où ce fut pour pleurer Proserpine.

J’en vins à mépriser en moi cette science qui d’abord faisait mon orgueil ; ces études, qui d’abord étaient toute ma vie, ne me paraissaient plus avoir qu’un rapport tout accidentel et conventionnel avec moi. Je me découvrais autre et j’existais, ô joie ! en dehors d’elles. En tant que spécialiste, je m’apparus stupide. En tant qu’homme, me connaissais-je ? je naissais seulement à peine et ne pouvais déjà savoir qui je naissais. Voilà ce qu’il fallait apprendre.

Rien de plus tragique, pour qui crut y mourir, qu’une lente convalescence. Après que l’aile de la mort a touché, ce qui paraissait important ne l’est plus ; d’autres choses le sont, qui ne paraissaient pas importantes, ou qu’on ne savait même pas exister. L’amas sur notre esprit de toutes connaissances acquises s’écaille comme un fard et, par places,