Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/87

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d’un musée, ou mieux les plantes d’un herbier, dont la sécheresse définitive m’aidât à oublier qu’un jour, riches de sève, elles avaient vécu sous le soleil. À présent, si je pouvais me plaire encore dans l’histoire, c’était en l’imaginant au présent. Les grands faits politiques devaient donc m’émouvoir beaucoup moins que l’émotion renaissante en moi des poètes, ou de certains hommes d’action. À Syracuse je relus Théocrite, et songeai que ses bergers au beau nom étaient ceux mêmes que j’avais aimés à Biskra.

Mon érudition qui s’éveillait à chaque pas m’encombrait, empêchant ma joie. Je ne pouvais voir un théâtre grec, un temple, sans aussitôt le reconstruire abstraitement. À chaque fête antique, la ruine qui restait en son lieu me faisait me désoler qu’elle fût morte ; et j’avais horreur de la mort.

J’en vins à fuir les ruines ; à préférer aux plus beaux monuments du passé ces jardins bas qu’on appelle les Latomies, où les citrons