Page:Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
la porte étroite

foi écartaient mal, hélas ! la nuit et le froid de mon cœur. Du temps passa.

Puis, un matin de printemps subit, une lettre d’Alissa à ma tante, absente du Havre en ce moment — que ma tante me communiqua — d’où je copie ce qui peut éclairer cette histoire :

« … Admire ma docilité,… ainsi que tu m’y engageais, j’ai reçu M. Tessières ; j’ai causé longuement avec lui. Je reconnais qu’il s’est montré parfait, et j’en viens presque à croire, je l’avoue, que ce mariage pourra n’être pas si malheureux que je le craignais d’abord. Certainement Juliette ne l’aime pas ; mais lui me paraît, de semaine en semaine, moins indigne d’être aimé. Il parle de la situation avec clairvoyance et ne se méprend pas au caractère de ma sœur ; mais il a grande confiance dans l’efficacité de son amour à lui, et se flatte qu’il n’y ait rien que sa constance ne pourra vaincre. C’est te dire qu’il est fort épris.

En effet, je suis extrêmement touchée de voir Jérôme s’occuper ainsi de mon frère. Je pense