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la porte étroite

Contre le piège de la vertu, je restais sans défense. Tout héroïsme, en m’éblouissant, m’attirait — car je ne le séparais pas de l’amour… La lettre d’Alissa m’enivra du plus téméraire enthousiasme. Dieu sait que je ne m’efforçais vers plus de vertu que pour elle. Tout sentier, pourvu qu’il montât, me mènerait où la rejoindre. Ah ! le terrain ne se rétrécirait jamais trop vite, pour ne supporter plus que nous deux ! Hélas ! je ne soupçonnais pas la subtilité de sa feinte, et j’imaginais mal que ce fût par une cime qu’elle pourrait de nouveau m’échapper.

Je lui répondis longuement. Je me souviens du seul passage à peu près clairvoyant de ma lettre.

« Il me paraît souvent, lui disais-je, que mon amour est ce que je garde en moi de meilleur ; que toutes mes vertus s’y suspendent ; qu’il m’élève au-dessus de moi, et que sans quoi je retomberais à cette médiocre hauteur d’un naturel très ordinaire. C’est