Page:Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
182
la porte étroite

chambre ; je ne sais de quoi s’y formait une sorte de paix mélodieuse où je reconnaissais Alissa. L’ombre bleue des rideaux aux fenêtres et autour du lit, les meubles de luisant acajou, l’ordre, la netteté, le silence, tout racontait à mon cœur sa pureté et sa pensive grâce.

Je m’étonnai ce matin-là de ne plus voir au mur, près de son lit, deux grandes photographies de Masaccio que j’avais rapportées d’Italie ; j’allais lui demander ce qu’elles étaient devenues, quand mon regard tomba tout auprès sur l’étagère où elle rangeait ses livres de chevet. Cette petite bibliothèque s’était lentement formée, moitié par les livres que je lui avais donnés, moitié par d’autres que nous avions lus ensemble. Je venais de m’apercevoir que ces livres étaient tous enlevés, remplacés uniquement par d’insignifiants petits ouvrages de piété vulgaire pour lesquels j’espérais qu’elle n’avait que du mépris. Levant les yeux soudain, je vis Alissa qui riait — oui, qui riait en m’observant.