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la porte étroite

— Jérôme, pourquoi ne pas avouer tout simplement que tu m’aimes moins ?

— Parce que ce n’est pas vrai ! parce que ce n’est pas vrai, m’écriai-je avec indignation ; parce que je ne t’ai jamais plus aimée.

— Tu m’aimes… et pourtant tu me regrettes ! dit-elle en tâchant de sourire et en haussant un peu les épaules.

— Je ne peux mettre au passé mon amour.

Le sol cédait sous moi ; et je me raccrochais à tout…

— Il faudra bien qu’il passe avec le reste.

— Un tel amour ne passera qu’avec moi.

— Il s’affaiblira lentement. L’Alissa que tu prétends aimer encore n’est déjà plus que dans ton souvenir ; un jour viendra où tu te souviendras seulement de l’avoir aimée.

— Tu parles comme si rien la pouvait remplacer dans mon cœur, ou comme si mon cœur devait cesser d’aimer. Ne te souviens-tu plus de m’avoir aimé toi-même, que tu puisses ainsi te plaire à me torturer ?