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la porte étroite

« Mon Dieu, conduisez-moi sur ce rocher que je ne puis atteindre ».

15 octobre.

« Joie, joie, joie, pleurs de joie… »

Au-dessus de la joie humaine et par-delà toute douleur, oui, je pressens cette joie radieuse. Ce rocher où je ne puis atteindre, je sais bien qu’il a nom : bonheur… Je comprends que toute ma vie est vaine sinon pour aboutir au bonheur… Ah ! pourtant vous le promettiez, Seigneur, à l’âme renonçante et pure. « Heureux dès à présent, disait votre sainte parole, heureux dès à présent ceux qui meurent dans le Seigneur. » Dois-je attendre jusqu’à la mort ? C’est ici que ma foi chancelle. Seigneur ! Je crie à vous de toutes mes forces. Je suis dans la nuit ; j’attends l’aube. Je crie à Vous jusqu’à mourir. Venez désaltérer mon cœur. De ce bonheur j’ai soif aussitôt… Ou dois-je me persuader de l’avoir ? Et comme l’impatient oiseau qui crie par devant l’aurore, appelant plus qu’annonçant le jour, dois-je n’attendre pas le pâlissement de la nuit pour chanter ?