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la porte étroite

16 octobre.

Jérôme, je voudrais t’enseigner la joie parfaite.


Ce matin, une crise de vomissements m’a brisée. Je me suis sentie sitôt après si faible qu’un instant J’ai pu espérer de mourir. Mais non, il s’est d’abord fait dans tout mon être un grand calme ; puis une angoisse s’est emparée de moi, un frisson de la chair et de l’âme ; c’était comme l’éclaircissement brusque et désenchanté de ma vie. Il me semblait que je voyais pour la première fois les murs atrocement nus de ma chambre. J’ai pris peur. À présent encore j’écris pour me rassurer, me calmer. Ô Seigneur ! puissé-je atteindre jusqu’au bout sans blasphème.

J’ai pu me lever encore. Je me suis mise à genoux comme un enfant…

Je voudrais mourir à présent, vite, avant d’avoir compris de nouveau que je suis seule.