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la porte étroite

Elle lui ressemble un peu, ne trouves-tu pas ?

Je serrai la main de Juliette sans répondre. La petite Alissa que sa mère soulevait ouvrit les yeux ; je la pris dans mes bras.

— Quel bon père de famille tu ferais ! dit Juliette en essayant de rire. Qu’attends-tu pour te marier ?

— D’avoir oublié bien des choses ; — et je la regardai rougir.

— Que tu espères oublier bientôt ?

— Que je n’espère pas oublier jamais.

— Viens par ici, dit-elle brusquement, en me précédant dans une pièce plus petite et déjà sombre, dont une porte ouvrait sur sa chambre et l’autre sur le salon. C’est là que je me réfugie quand j’ai un instant ; c’est la pièce la plus tranquille de la maison ; je m’y sens presque à l’abri de la vie.

La fenêtre de ce petit salon n’ouvrait pas, comme celle des autres pièces, sur les bruits de la ville, mais sur une sorte de préau planté d’arbres.