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la porte étroite

Sitôt après le déjeuner, Juliette me prit à part et m’entraîna dans le jardin :

— Figure-toi qu’on me demande en mariage ! s’écria-t-elle dès que nous fûmes seuls. La tante Félicie a écrit hier à papa pour lui faire part des avances d’un viticulteur de Nîmes ; quelqu’un de très bien, affirme-t-elle, qui s’est épris de moi pour m’avoir rencontrée quelquefois dans le monde ce printemps.

— Tu l’as remarqué, ce Monsieur ? interrogeai-je avec une involontaire hostilité pour le prétendant.

— Oui, je vois bien qui c’est. Une espèce de Don Quichotte bon enfant, sans culture, très laid, très vulgaire, assez ridicule et devant qui la tante ne pouvait garder son sérieux.

— Est-ce qu’il a… des chances ? dis-je, sur un ton moqueur.

— Voyons, Jérôme ! Tu plaisantes ! Un négociant !… Si tu l’avais vu, tu ne m’aurais pas posé la question.