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la porte étroite

Nous causions avec mon oncle et Miss Ashburton lorsqu’enfin elle entra dans le salon. Si notre brusque arrivée l’avait troublée, du moins sut-elle n’en rien laisser voir ; je pensais à ce que m’avait dit Abel et que c’était précisément pour s’armer contre moi qu’elle était restée si longtemps sans paraître. L’extrême animation de Juliette faisait paraître encore plus froide sa réserve. Je sentis qu’elle désapprouvait mon retour ; du moins cherchait-elle à montrer dans son air une désapprobation derrière laquelle je n’osais chercher une secrète émotion plus vive. Assise assez loin de nous, dans un coin, près d’une fenêtre, elle paraissait tout absorbée dans un ouvrage de broderie dont elle repérait les points en remuant les lèvres. Abel parlait ; heureusement ! car, pour moi, je ne m’en sentais pas la force, et sans les récits qu’il faisait de son année de service et de son voyage, les premiers instants de ce revoir eussent été mornes. Mon oncle lui-même semblait particulièrement soucieux.