Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/30

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nous restera-t-il de quoi vivre ? — Attentes ! attentes de quoi ? criais-je. — Que pouvait-il venir qui ne naîtrait pas de nous-mêmes ? Et que se pouvait-il de nous que nous ne connussions déjà ?

La naissance d’Abel, mes fiançailles, la mort d’Éric — le bouleversement de ma vie, loin de finir cette apathie, semblèrent m’y replonger davantage, tant il semblait que cette torpeur vînt de la complexité même de mes pensées, et de mes volontés indécises…… J’eusse voulu dormir, infiniment, dans l’humidité de la terre et comme une végétation. — Parfois je me disais que la volupté viendrait à bout de ma peine, et je cherchais dans l’épuisement de la chair une libération de l’esprit. — Puis de nouveau je dormais de longues heures, ainsi que les petits enfants que l’on couche au milieu du jour, assoupis de chaleur, dans la maison vivante.

Puis je me réveillais de très loin, en sueur, le cœur battant, la tête somnolente. La lumière qui s’infiltrait d’en bas, entre les fentes des volets clos, et renvoyait au plafond blanc les reflets verts de la pelouse, cette clarté du soir m’était la seule chose délicieuse, pareille à la clarté qui paraît