Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/88

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dehors ; par tous mes sens ouverts j’accueillais sa présence ; tout en moi s’y trouvait convié.

Mon âme enfin s’emplissait de lyrisme, qu’exaspérait ma solitude et qui me fatiguait vers le soir. Je me soutenais par orgueil ; mais regrettais alors Hilaire qui me départissait l’an d’avant de ce que mon humeur avait sinon de trop farouche.

Avec lui, vers le soir, je parlais, il était lui-même poète ; il comprenait toutes les harmonies. Chaque effet naturel nous devenait comme un langage ouvert où l’on pouvait lire toute sa cause ; nous apprenions à reconnaître les insectes à leur vol, les oiseaux à leur chant, et la beauté des femmes aux traces de leurs pas sur le sable. Le dévorait aussi une soif d’aventures ; sa force le rendait audacieux. Certes jamais aucune gloire ne vous vaudra, adolescence de nos cœurs ! — Aspirant tout avec délices, en vain cherchions-nous à lasser nos désirs ; chaque de nos pensées était une ferveur ; sentir avait pour nous une âcreté singulière. — Nous usions nos splendides jeunesses attendant le bel avenir, et la route y menant ne paraissait jamais assez interminable, où nous marchions à grands pas, mordant les fleurs des