Page:Gide - Philoctète, 1899.djvu/93

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Narcisse cependant contemple de la rive cette vision qu’un désir amoureux transfigure ; il rêve. Narcisse solitaire et puéril s’éprend de la fragile image ; il se penche, avec un besoin de caresse, pour étancher sa soif d’amour, sur la rivière. Il se penche et, soudain, voici que cette fantasmagorie disparaît ; sur la rivière il ne voit plus que deux lèvres au-devant des siennes, qui se tendent, deux yeux, les siens, qui le regardent. Il comprend que c’est lui, – qu’il est seul – et qu’il s’éprend de son visage. Autour, un azur vide, que ses bras pâles crèvent, tendus par le désir à travers l’apparence brisée, et qui s’enfoncent dans un élément inconnu.

Il se relève alors, un peu ; le visage s’écarte. La surface de l’eau, comme déjà, se diapre et la vision reparaît. Mais Narcisse se dit que le baiser est impossible, – il ne faut pas désirer une image : un geste pour la posséder la déchire. Il est seul. – Que faire ? Contempler.