Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux montres, celle qui marche le mieux ; mais entre deux pièces de monnaie de qualité inégale, peu nous importe d’employer l’une plutôt que l’autre, car nous ne les destinons point à notre usage personnel, et tout ce que nous leur demandons c’est de servir à payer nos créanciers et nos fournisseurs : dès lors nous serions naïfs de leur donner les meilleures pièces ; au contraire, nous avons tout intérêt à choisir les plus mauvaises et c’est ce que nous ne manquerons pas de faire : — une condition toutefois, c’est que le créancier ou le fournisseur ne puisse les refuser, c’est-à-dire que la mauvaise monnaie ait force libératoire aussi bien que la bonne. Et c’est bien dans cette hypothèse en effet que s’applique la loi de Gresham : c’est lorsqu’il s’agit de deux monnaies qui sont l’une et l’autre monnaie légale.

Ceci nous explique pourquoi la mauvaise monnaie reste dans la circulation, mais ne nous explique pas encore pourquoi la bonne disparaît. Que devient-elle donc ?

Elle fuit par trois voies différentes la thésaurisation, les paiements à l’étranger et la vente au poids.

1° La thésaurisation d’abord. — Quand les gens veulent se faire une réserve de monnaie, c’est-à-dire la garder en cas de besoin, ils ne manquent pas cette fois de se conformer à la règle commune et ils ne sont pas assez sots pour jeter leur dévolu sur les mauvaises pièces. Ils choisissent les meilleures, parce qu’ils les gardent pour eux-mêmes et que ce sont celles qui leur offrent le plus de garanties. Les gens effrayés qui, pendant la Révolution française, voulaient thésauriser, ne s’amusaient pas à le faire en assignats, mais en bons louis d’or. Ainsi font les banques aussi. La Banque de France cherche à grossir surtout son encaisse or. Par cette voie déjà une certaine quantité de la meilleure monnaie peut disparaître de la circulation. Toutefois, cette première cause de déperdition n’est pas définitive, mais seulement temporaire[1].

  1. Il est curieux qu’Aristophane eût déjà remarqué ce double fait que le public, qui préfère la mauvaise monnaie, emploie cependant la bonne « à l’intérieur des maisons (thésaurisation) et au dehors des frontières (commerce extérieur) ».