Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/319

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L’argument paraissait plausible. Il semblait confirmé par l’expérience des pays neufs, par exemple par celle des jeunes colonies anglaises, telles que l’Australie et le Canada, qui ont sucé le lait de la pure doctrine libre-échangiste et pourtant n’ont pas hésite à élever, comme d’instinct, contre la mère-patrie elle-même un rempart protectionniste.

On invoquait surtout l’exemple des États-Unis. L’industrie américaine aurait-elle grandi si vite, si elle avait eu à lutter dès ses débuts contre les manufactures anglaises, et n’aurait-elle pas été écrasée dans l’œuf par sa puissante rivale ?

Très bien : mais aujourd’hui voici que les États-Unis ont brillamment fait leur évolution économique et sont devenus un des premiers pays manufacturiers du monde. Aujourd’hui que les voilà grands et forts, ont-ils renoncé à l’abri du rempart qui a protégé leur enfance ? Nullement. Ils continuent à être protectionnistes tout en repoussant du pied, comme outrageant, l’argument de la « protection-tutelle ». Ils déclarent maintenant, par un argument inverse, qu’un pays avancé en civilisation, riche et payant à ses ouvriers de hauts salaires, doit se protéger contre les États à civilisation arriérée et à bas salaires : c’est de notre Europe qu’il s’agit[1].

Et de notre côté nous entendons les pays d’Europe déclarer que la protection leur est indispensable précisément parce qu’ils sont vieux et qu’ils ont besoin d’être protégés contre la concurrence des pays nouveaux et des terres vierges !

Alors que conclure et qui trompe-t-on ici ? À qui la pro-

  1. De même, disent les économistes américains, que l’Europe et l’Asie abaissent notre civilisation et notre standard of life par l’envoi de leurs émigrants pauvres et faméliques, blancs ou jaunes, de même font-ils en nous envoyant leurs produits à bas prix ; et il faut défendre notre état de civilisation et nos hauts salaires à la fois contre l’invasion des travailleurs pauvres et contre l’invasion des marchandises qui sont le produit d’un travail pauvre.
    On trouvera cette thèse d’un nationalisme féroce exposée d’une façon savante dans Patten (The economic basis of protection) oppose les sociétés à forme « dynamique » comme les États-Unis, aux sociétés à forme « statique » comme celles d’Europe.