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Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/35

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ditions de liberté absolue, rien ne prouve qu’il fût semblable à celui qui existe aujourd’hui[1].

On n’est pas davantage autorisé à conclure que parce que les lois naturelles sont permanentes et immuables, les faits et les institutions économiques actuelles doivent avoir aussi un caractère de permanence et d’immutabilité. C’est là un pur sophisme, pour ne pas dire un jeu de mots. Si, au contraire, comme tend à le croire la science contemporaine, la loi naturelle par excellence est celle de l’évolution, alors il faudrait dire que les lois naturelles, bien loin d’exclure l’idée de changement, la supposent toujours. Si nous prétendons, par exemple, que le salariat doit disparaître, parce que de même qu’il a succédé au servage et à l’esclavage, de même il sera remplacé à son tour par la coopération ou tout autre état innommé, on peut sans doute critiquer notre argumentation, mais on ne peut prétendre qu’elle soit en contradiction avec les lois naturelles, puisque ces mêmes lois font succéder sur une même plante la fleur à la graine et le fruit à la fleur.

Et non seulement les faits et les institutions économiques peuvent changer, mais encore notre volonté n’est certainement pas impuissante à déterminer ces changements. En fait, cette volonté s’exerce tous les jours sur les faits de l’ordre physique, et de la façon la plus efficace, pour les modifier suivant nos besoins, et cette action raisonnée de l’homme sur les phénomènes naturels n’est nullement incompatible avec l’idée de loi naturelle : elle lui est au contraire intimement liée[2].

Sans doute, il est certains faits qui échappent, par leur immensité ou leur éloignement, à toute action de notre part, tels que les phénomènes de l’ordre astronomique ou géologique ou même météorologique nous n’avons ici qu’à les subir en silence et notre faculté de prévision ne saurait nous permettre d’échapper au choc d’une comète ou à un tremblement de terre : — mais que d’autres domaines où notre science est

  1. Voy. Secrétan, Études sociales, p. 35.
  2. Comme le dit spirituellement M. Espinas (Sociétés animales) « Si l’activité humaine était incompatible avec l’ordre des phénomènes, il faudrait considérer comme un miracle le fait de faire cuire un œuf ».