Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/391

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tels produits des plus futiles, tels travaux ou plutôt, car ils ne méritent même pas ce nom, tels actes qui ne procurent que la plus fugitive ou parfois la plus immorale jouissance peuvent être recherchés à prix d’or et assurer la fortune de ceux qui savent les offrir. Dites encore que tout cela est inévitable et naturel parce que c’est la conséquence de la loi de la valeur telle que nous l’avons exposée et qui est une loi naturelle, nous le voulons bien, mais il faut se hâter d’ajouter que précisément parce qu’elle est une loi naturelle elle est absolument amorale : elle est aussi étrangère à toute préoccupation de moralité ou de justice que n’importe quelle autre loi naturelle, celle de la gravitation qui nous entraîne ou celle qui fait « lever le soleil sur les bons comme sur les méchants »[1].

Quand un lord anglais, propriétaire de vastes terrains situés dans Londres, permet à des entrepreneurs d’y bâtir des maisons moyennant un prix de location qu’il élève d’ailleurs à chaque renouvellement de bail, en raison de la hausse des terrains et des loyers, il est facile d’admettre que sa rémunération, qui s’élève peut-être à plusieurs millions de livres sterling, est déterminée très naturellement par la loi de l’offre et de la demande, mais il n’est pas aussi facile de voir en quoi cette rémunération est proportionnelle « au service rendue » ou si l’on insiste pour qualifier de service le fait d’avoir permis aux gens de loger sur son terrain, on ne voit pas très clairement en vertu de quel principe de justice ou d’utilité sociale le noble lord a pu être investi de l’agréable privilège de pouvoir rendre à ses semblables des services si chèrement payés.

Enfin quant à l’hypothèse admise par l’école libérale d’un régime de liberté absolue dans lequel la concurrence agirait comme un correctif, ramenant sans cesse la valeur de tous

  1. Et encore notre exemple est-il plutôt favorable, car il ne s’agit que de personnes offrant sur le marché le produit de leur travail ou leurs services personnels, mais que de fois dans nos sociétés l’on voit des gens qui s’enrichissent en offrant des produits ou des services qui ne sont point du tout leurs produits ni leurs services !