Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/421

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dans nos sociétés civilisées et ne paraît nullement diminuer[1].

En ce qui concerne la troisième catégorie, il ne saurait y avoir doute : le chômage qui résulte des inventions mécaniques ou de la surproduction, les crises économiques qui résultent de l’évolution de la grande production et de la concurrence internationale, sont évidemment des phénomènes caractéristiques de notre temps et inconnus à nos pères.

Tout bien pesé, nous inclinons donc à croire que les causes qui tendent à développer le paupérisme dans nos sociétés modernes sont plus actives que celles qui tendraient à le réduire. Nous n’en conclurons pas cependant que le paupérisme est destiné à se perpétuer et à s’aggraver fatalement. D’abord le paupérisme qui tient à des causes individuelles, naturelles et accidentelles, telles que l’enfance et la vieillesse abandonnées, les maladies, l’invalidité, le chômage même, devra disparaître par un système d’assistance et d’assurances bien organisé. Quant au paupérisme qui tient à des causes générales, soit morales, soit économiques, il ne pourra disparaître que par une modification de ces causes elles-mêmes. Mais à moins de désespérer absolument de l’avenir de l’espèce humaine, il faut bien croire que quelques-unes au moins et les plus actives s’atténueront avec le temps[2].

  1. Sur 120 à 130.000 condamnés annuellement par les tribunaux, on compte plus de 30.000 vagabonds ou mendiants. On estime qu’à Paris il y a environ 8.000 personnes chaque soir qui couchent dans les carrières ou sous les arches des ponts. Beaucoup évidemment le font par nécessité et préféreraient coucher dans un lit, mais beaucoup aussi le font par instinct de bohèmes. Toute société civilisée a ses sauvages.
  2. On cite souvent, même les économistes, la parole du Christ : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous ». Mais c’est une erreur de traduction. Christ a dit : « Vous avez toujours des pauvres avec vous », parlant au temps présent et non au temps futur. D’ailleurs il peut y avoir des pauvres sans qu’il y ait un paupérisme.