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au prix minimum auquel ils pourraient se les procurer, hommes, femmes ou enfants, et de les congédier à leur gré. Le contrat du salaire fut désormais un contrat aussi libre qu’un contrat de vente — même beaucoup plus simplifié, car la loi ne daigna pas s’en occuper — et la main-d’œuvre devint une marchandise dont la valeur fut réglée par les mêmes lois qu’une marchandise quelconque. Alors le salariat fut véritablement constitué.

Personne, même parmi les socialistes, ne songe à nier que ce régime n’ait donné un grand essor à la production et n’ait puissamment armé l’industrie. Mais aucun esprit impartial ne niera non plus que cette liberté réciproque n’ait d’abord beaucoup plus profité aux patrons qu’aux ouvriers. Ceux-ci isolés, désorganisés, victimes d’une législation qui ne leur permettait pas de s’associer, se trouvèrent dans les plus mauvaises conditions pour tirer parti de leur marchandise, c’est-à-dire de leur travail, et ne purent le vendre qu’à vil prix. Et on s’accorde généralement à reconnaître que jusqu’au milieu de ce siècle du moins, la condition des ouvriers salariés en Europe a été très dure, et que le salariat leur a été même moins avantageux que les régimes antérieurs.

Toutefois il est vrai que la face des choses tend à changer depuis une trentaine d’années :

1° Parce que les ouvriers salariés ont appris à s’organiser et à se grouper pour mieux défendre leurs intérêts et que par tout pays ont été levées les prohibitions législatives qui mettaient obstacle à l’exercice d’un droit si légitime ;

2° Parce que tout un ensemble de lois, qu’on désigne sous le nom de « législation ouvrière » et que nous résumerons plus loin, conspire à reconstituer dans les fabriques modernes les garanties qui existaient dans le régime corporatif et dont elles s’étaient affranchies : — réglementation des heures de travail, assurances contre les risques, prescriptions hygiéniques, et, sinon encore fixation d’un certain taux de salaire, du moins certaines garanties quant à la façon dont ce salaire sera payé et quant au renvoi des ouvriers.