Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/498

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m’absenter, ou que je les laisse manger dans mon assiette parce que je n’ai pas faim ? On ne pourrait soutenir cette thèse qu’en partant du principe que l’homme en ce monde a droit seulement à la quantité de richesses strictement nécessaires à sa consommation personnelle et que l’excédent appartient de droit à la masse, c’est-à-dire en se plaçant sur le terrain du communisme pur.

Aussi bien la question n’est-elle plus guère discutée aujourd’hui. L’école catholique, tout en conservant une vieille haine contre l’intérêt usura vorax, se borne à chercher les moyens de diminuer la puissance de l’argent, préoccupation d’ailleurs parfaitement légitime. Les socialistes eux-mêmes, du moins dans l’école collectiviste, admettent très bien que l’intérêt est une conséquence inévitable de droit de propriété[1]. Seulement ils transportent la question sur un autre terrain et au lieu d’attaquer la légitimité de l’intérêt, ils attaquent, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la légitimité de la propriété des capitaux. Il est clair que du jour où la propriété individuelle des capitaux aurait été abolie, l’intérêt serait aboli du même coup. En ceci nous sommes parfaitement d’accord[2].

Alors puisque la légitimité de l’intérêt paraît aujourd’hui si évidente, pourquoi a-t-elle été si longtemps contestée ? Ceci tient à des causes historiques que nous allons exposer.

  1. Proudhon, dans sa fameuse discussion avec Bastiat sur la gratuité du crédit, ne contestait pas non plus la légitimité de l’intérêt dans l’organisation économique actuelle et il s’impatiente, non sans raison, de voir Bastiat lui démontrer obstinément une vérité qu’il tient pour admise d’avance. Seulement il prétend pouvoir organiser une société dans laquelle (par un mécanisme spécial qu’il appelle la Banque d’Échange) les capitaux seront mis gratuitement à la disposition de qui en voudra, ce qui aurait évidemment pour conséquence, par voie de concurrence, de faire tomber à zéro l’intérêt (Voir sur cette idée, ci-dessous p. 501 note).
  2. On peut se demander cependant comment, même sous un régime collectiviste — puisque ce régime admettrait une certaine propriété individuelle sous la forme de bons de travail, d’objets de consommation ou même d’instruments du travail personnel — on pourrait empêcher que ces parts de propriété individuelle ne fussent prêtées à intérêt par ceux qui les possèdent à ceux qui en seraient dépourvus.