Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/50

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fait exception. Seul il présente cette particularité, par exemple, de boire quand il n’a pas soif. De là la distinction entre les besoins naturels ou plutôt normaux de l’homme et les besoins artificiels ou dépravés, entre ceux qui peuvent servir ou ceux qui peuvent contrarier son développement physique, intellectuel ou moral, son « bien-être », dans le sens vrai et profond de ce mot.

Les économistes de l’école classique renvoient cette distinction aux moralistes en déclarant qu’elle ne les regarde pas. Cependant elle a un grand intérêt même au point de vue de l’économie politique pratique, soit par exemple qu’il s’agisse de déterminer le juste salaire, c’est-à-dire la rétribution nécessaire pour suffire aux besoins normaux du travailleur, soit de protéger dans un pays les industries utiles, c’est-à-dire celles qui peuvent par la nature de leurs produits concourir à la prospérité du pays, soit encore de taxer ou de dégrever certains objets de consommation, par exemple, l’alcool ou le vin. Et l’hygiène publique et municipale qui prend un si grand et si heureux développement par tout pays civilisé répond à cet ordre de préoccupations[1].

  1. Ces besoins sont, comme nous le verrons, innombrables. On peut toutefois les classer d’après leur objet, dans l’ordre de leur apparition successive autant qu’on peut en juger d’après ce que nous apprennent l’archéologie primitive et les mœurs des peuplades sauvages et qui marque l’ordre de leur importance respective :
    alimentation. Le premier assurément, puisqu’il est lié à l’existence non seulement de l’homme, mais de tout être vivant, même des végétaux. À cette heure encore c’est lui qui tient le plus de place dans toute société civilisée. Il met en mouvement plus de la moitié de la somme totale des richesses.
    logement. Le besoin d’un abri est ressenti même par les animaux et donne naissance chez eux, comme on sait, à l’industrie la plus curieuse et la plus variée.
    défense, ou plutôt — car l’homme ne se contente pas de la défensive, pas plus que les carnassiers — la lutte. Ce besoin, là est également ressenti par les animaux, mais ne donne pas lieu pour eux à une industrie, à moins qu’on n’y fasse rentrer la toile de l’araignée ou certains pièges. Leurs armes sont naturelles.
    parure. On s’étonnera de voir ce besoin classé à un rang si respectable. Cependant l’archéologie préhistorique aussi bien que les mœurs des sauvages nous montrent que ce besoin est antérieur à celui du vêtement. C’est le premier par lequel l’homme s’est séparé de l’animal. Comme le