Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/516

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Cependant nous devons l’accepter comme vraie dans ses grandes lignes en la débarrassant des complications inutiles que Ricardo y avait introduites.

D’abord nous ne croyons plus que la valeur soit déterminée par le travail ou les frais de production, mais seulement par l’utilité finale du produit : dès lors nous pouvons très bien admettre que la rente foncière existe indépendamment de la nécessité de recourir à des terrains inférieurs, et par le seul fait que la terre ou ses produits se trouvent en quantité inférieure aux besoins. Le cas est évident pour certaines terres, telles que les vignobles qui produisent des crus renommés ou les terrains à bâtir dans les grandes villes et les maisons qui sont élevées dessus. En ce cas, la vieille explication des premiers économistes par le monopole est la plus exacte et la plus simple.

Quant à l’ordre de culture, il ne paraît pas conforme à la vérité historique[1], mais cela importe peu. Le seul point important c’est de savoir si, conformément à la théorie de Ricardo, le revenu de la terre est destiné à augmenter progressivement et spontanément. Or cela parait incontestable. Si l’on réfléchit en effet que la terre est une richesse sui generis qui présente trois caractères que ne réunit au même degré nulle autre richesse :

1° de répondre aux besoins essentiels et permanents de l’espèce humaine ;

2° d’être en quantité limitée ;

  1. Dans une théorie qui est précisément le contre-pied de celle de Ricardo et qui a eu aussi son jour de célébrité, un auteur américain Carey s’est efforcé de démontrer que l’ordre des cultures était précisément inverse. Les terres les plus fertiles, dit-il, sont celles qui, à raison même de leur fécondité, sont les plus difficiles à défricher (végétation exubérante, forêts gigantesques, marais, miasmes et fièvres) donc elles ne peuvent être mises en culture qu’au fur et à mesure que l’agriculture se trouve armée de moyens d’action plus puissants. — Cette théorie est vraie pour une société à ses débuts : elle l’était encore pour les Etats-Unis quand Carey l’exposait : elle ne l’est déjà plus pour les Etats-Unis d’aujourd’hui, et il y a des siècles qu’elle a cessé de l’être pour nos pays d’Europe : il faudrait avoir perdu le sens pour soutenir qu’en France ou en Angleterre les terres qui restent encore en friche senties plus fécondes.