Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/520

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Cette distinction frappe fortement l’esprit par sa simplicité et sa logique : elle est très ancienne, car nous verrons dans le chapitre suivant qu’elle remonte aux origines mêmes de la propriété : elle est très moderne aussi, car elle a rallié de nos jours non seulement des socialistes, mais un certain nombre d’économistes et de philosophes contemporains.

L’école optimiste nie absolument cette distinction. Elle déclare que la terre est un produit du travail du cultivateur tout aussi bien que le vase d’argile façonné par la main du potier. Sans doute, l’homme n’a pas créé la terre, mais il n’a pas non plus créé l’argile : le travail ne crée jamais rien ; il se borne à modifier les matériaux que la nature lui fournit ; or cette action du travail n’est pas moins réelle ni moins efficace quand elle s’exerce sur le sol lui-même que sur les matériaux tirés de son sein. Et elle nous cite en exemple des terres telles que celles que les paysans du Valais ou des Pyrénées ont rapportées de toutes pièces sur les pentes de leurs montagnes, en les portant dans des hottes sur leur dos. Un auteur ancien nous raconte qu’un paysan accusé de sorcellerie à raison des récoltes abondantes qu’il obtenait sur sa terre, alors que les champs voisins n’étaient que des landes,

    conséquent le revenu de la terre n’est que l’intérêt de l’argent ainsi placé. ». C’est ne rien comprendre à la question.
    Ce n’est pas parce qu’une terre s’est vendue 100.000 fr. qu’elle rapporte 3.000 fr. de rente, mais c’est au contraire parce qu’elle rapportait naturellement 3.000 fr. de rente, indépendamment de tout travail du titulaire, qu’elle a pu se vendre 100.000 fr., et il s’agit précisément de savoir pourquoi elle les rapportait ! C’est comme si à ceux qui critiquent le monopole des notaires ou agents de change et réclament son abolition, on pouvait fermer la bouche en disant que la propriété de ces offices est légitime et indiscutable puisque les titulaires actuels les ont achetés et payés !
    Tout ce qu’on peut conclure de cet argument, c’est que le propriétaire de la terre (comme le titulaire d’un office quelconque acheté à prix d’argent a droit au remboursement du prix s’il est exproprié, — mais c’est là une tout autre question.
    La prescription, souvent invoquée, n’a pas plus de valeur. Dans certains cas particuliers et pour éviter des procès insolubles, les jurisconsultes, il est vrai, ont décidé que la longue possession ferait présumer des titres perdus et suppléerait au droit. Mais il serait grotesque de généraliser cette proposition et de déclarer que la propriété foncière en général repose sur une présomption de titres qu’on ne peut produire !