Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/521

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fut cité à comparaître devant le préteur de Rome, et là, pour toute défense, montrant ses deux bras, il s’écria : veneficia mea hæc sunt ! « voilà tous mes sortilèges ». La propriété foncière, pour se justifier des attaques qu’on dirige contre elle, n’a qu’à répéter aujourd’hui la même fière réponse.

Et si même la terre n’était pas un produit du travail, elle serait du moins, dit-on, le produit du capital. La valeur de la terre et sa plus-value séculaire s’expliquerait suffisamment par les améliorations et les dépenses faites par les propriétaires et on affirme même que si l’on faisait le compte de toutes les dépenses accumulées par les propriétaires successifs, on arriverait à cette conclusion qu’il n’y a pas de terre qui vaille ce qu’elle a coûté[1].

Malgré la part de vérité que contient incontestablement cette argumentation, elle ne nous paraît point suffisante. Sans doute, l’homme et la terre ont été unis de tout temps par le lien du travail quotidien et même du travail le plus dur, celui pour lequel on a inventé l’expression de travailler à la sueur de son front le mot labor est le même que labourer. Mais si la terre est l’instrument du travail, elle n’en est pas le produit. Elle préexiste à tout travail de l’homme[2]. Sans doute,

  1. L’historien Michelet a dit : « L’homme a sur la terre le premier des droits : celui de l’avoir faite ». Les Physiocrates aussi faisaient reposer le droit de propriété sur les dépenses faites pour créer le domaine, ce qu’ils appelaient « les avances foncières ».
  2. L’école de Bastiat, pour démontrer que la valeur de la terre procède uniquement du travail, s’appuie sur ce fait que là où la terre est vierge, par exemple en Amérique, elle est sans valeur. Le fait est exact, mais l’argument qu’on en tire ne prouve rien:si les terres situées sur les bords de l’Amazone sont sans valeur, ce n’est point du tout parce qu’elles sont vierges, mais simplement parce qu’elles sont situées dans un désert, et que là où il n’y a point d’hommes pour utiliser les choses, la notion même de la richesse s’évanouit. Il est clair que la terre n’avait point de valeur avant le jour où le premier homme a apparu à sa surface et qu’elle n’en aura pas davantage le jour où le dernier représentant de notre race aura disparu (Voy. ci-dessus, p. §2), mais leur virginité n’a rien à faire ici. — Et la preuve; c’est que si on pouvait, par un coup de baguette magique, les transporter sur les bords de la Seine telles quelles et sans déflorer leur virginité, elles vaudraient autant que les plus vieilles terres du pays, en dépit du travail de cent générations qui les a fatiguées et remuées. Ou si l’on trouve l’hypothèse trop fantastique, qu’on suppose une terre quelconque en France entourée d’un mur et abandonnée pendant cent ans, comme le château de la Belle au Bois Dormant, jusqu’à ce que