Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/525

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Ces causes qui ont agi dans le passé pour créer la propriété foncière individuelle, ont-elles perdu de leur force pour la défendre aujourd’hui contre tes attaques de ses adversaires ? — nous ne le croyons pas.

Étant donné le fait de l’accroissement plus ou moins rapide mais continu de la population, il importe aujourd’hui comme aux jours anciens de choisir le mode d’exploitation du sol qui permettra de nourrir le plus grand nombre d’hommes sur une superficie donnée[1]. La Société a, croyons-nous, en droit un domaine éminent sur la terre, mais elle ne saurait mieux faire dans l’intérêt de tous que de déléguer son droit à ceux qui pourront tirer de cette terre le meilleur parti[2].

    des terrains submergés, bâtir sur une terre morte, y faire une plantation, la défoncer par un labour, en détruire les broussailles qui la rendent impropre à la culture, niveler le sol et en enlever les pierres ». C'est par application de ces principes qu’en Algérie et à Java, par exemple, la propriété collective occupe encore une très grande place.
    Mais en France, sur 22 millions d’hectares de terre et de nature (bois, pâturages, friches) — les 2/5 de la superficie de la France — il n'en reste plus que 6 millions appartenant à l’État ou aux communes ; tout le reste a été envahi par la propriété privée, sans autre titre évidemment que l’occupation.
    En second lieu, on peut se demander s’il était nécessaire de conférer à la propriété foncière un caractère perpétuel. Et il semble bien que ce droit ait été étendu au delà de ce qu’exigeaient les nécessités de la culture, car, assurément, l’homme, être de peu de durée, n’a pas besoin d’avoir l’éternité devant lui pour entreprendre les plus grands travaux la preuve, c’est que les entreprises des chemins de fer et les canaux de Suez et de Panama ne reposent que sur des concessions de 99 ans.
    Il est vrai que la logique semblait conduire à cette conséquence, car le droit de propriété dure autant que l’objet ; or, l’objet, ici, a une durée perpétuelle. La terre est même la seule richesse qui ait ce privilège ; le temps qui détruit toutes choses, tempus edax rerum, ne touche à elle que pour lui rendre à chaque printemps une jeunesse nouvelle. Mais la logique n’est ici que spécieuse car ce qui dure éternellement, c’est le fonds et ses forces naturelles les transformations résultant du travail, même incorporées à la terre, ne durent qu’un temps.

  1. On a reconnu au Canada que les populations indigènes qui vivent de la chasse ont besoin de l’énorme superficie de 15 milles carrés (3.800 hectares) par tête pour pouvoir vivre. Au-dessous de cette limite, la famine les décime. Or, l’agriculture, telle qu’elle est pratiquée dans l’Europe occidentale, peut nourrir de 1 à 2 habitants par hectare, c’est-à-dire 4 à 5.000 fois plus.
  2. C’est la conclusion à laquelle, après avoir quelque peu varié, aboutit Herbert Spencer dans son dernier livre, La Justice (1891) (Appendice B). « Je maintiens ma conclusion que l’agrégat collectif est bien le proprié-