Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/24

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de Gœcklin me faisait cadeau d’une image qu’elle sortait d’un petit manchon. L’image, en elle-même, eût pu me paraître ordinaire et j’en aurais presque fait fi ; mais elle était parfumée ; extraordinairement parfumée — sans doute en souvenir du manchon ; je la regardais à peine ; je la humais ; puis la collais dans un album, à côté d’autres images que les grands magasins donnaient aux enfants de leur clientèle, mais qui, elles, ne sentaient rien. J’ai rouvert l’album dernièrement pour amuser un petit neveu : les images de Mademoiselle de Gœcklin embaument encore ; elles ont embaumé tout l’album.

Après que j’avais fait mes gammes, mes harpèges, un peu de solfège, et ressassé quelque morceau des Bonnes Traditions du Pianiste, je cédais la place à ma mère qui s’installait à côté de Mademoiselle de Gœcklin. Je crois que c’est par modestie que maman ne jouait jamais seule ; mais, à quatre mains, comme elle y allait ! C’était d’ordinaire quelque partie d’une symphonie de Haydn, et de préférence le finale qui, pensait-elle, comportait moins d’expression à cause du mouvement rapide — qu’elle