Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/123

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veux dire que tous ceux qui, dans les villes ou dans les campagnes, eussent pu paraître mériter en être, semblaient avoir été soigneusement éliminés — à moins qu’ils ne se fussent faits récuser.

Mais vous-même ?, me dira-t-on. — Si je n’avais pas insisté auprès du maire de ma commune chargé de dresser les premières listes, pour qu’il y portât régulièrement mon nom depuis six ans, je suis bien assuré qu’il ne m’aurait pas proposé — par peur de me déranger. Encore craignais-je après avoir reçu ma citation, d’être récusé, en qualité d’intellectuel, soit complètement, soit successivement pour chaque affaire.

(On me l’avait fait craindre, et je me souvenais que mon père, nommé juré, avait été systématiquement éliminé, en tant que juriste, chaque fois que son nom était sorti de l’urne.)

Il n’en a rien été. Et comme certains de mes collègues se faisaient fréquemment récuser, j’ai pu siéger dans un grand nombre d’affaires, et assister plus d’une fois aux perplexités, au désarroi, à l’affolement du jury.

Je n’étais pourtant pas de cette affaire où les jurés, après avoir répondu de telle manière que la Cour dût condamner l’accusé aux travaux forcés à perpétuité — épouvantés du résultat de leur vote, se réunirent aussitôt après séance et, précipités d’un excès dans un autre, signèrent un recours en grâce pur et simple.

On a proposé que le chef du jury soit désigné, non par